Les personnages de Texaco
Celle qui, accoudée à son balcon, au niveau de la rue, et tournant le dos à la télé allumée du salon, nous transperce de son regard immobile, la blouse ouverte sur ses seins lourds, imperturbable à nos allées/retours dispersés
Celui qui, torse nu, carrure d’athlète et le visage masqué, nous indique le chemin et nous aide à la manœuvre
Celle qui sort de sa cuisine en entendant la voix d'Isabelle sur son balcon en surplomb du canal.
Connait-elle ces personnages de Texaco décrits par Chamoiseau ?
Ceux qui grilladent et pétanquent en bord de mer, face à la baie.
Christine S., fév 2021
Ceux qui interrogent
Ceux qui se méfient
Ceux qui se moquent
Celle qui sert le poisson sans sauce, sans serviette et sans sourire
Celle qui s'appelle Nadia et qui fait toujours ses gato-coco
Est-ce qu'ils sont bons ?
Celle qui se tient à 4 épingles
Ceux qui ont construit l'histoire à coups de ciment et d'oubli
Ceux qui ont repris l'histoire à coups de stylo et d'un prix
Celle qui tombe étoilée et enchantée sur les hauts de Texaco
Celles qu'on appelle Fifine, Man Ninotte
Ceux qu'on appelle Estermone, Mr célestin
et qui ne sont plus
Celles qui se retrouvent transportés dans le roman de Texaco
et qui réécrivent les chapitres nouveaux à la lumière d'une lampe-torche
Celui qui écrivait debout comme tous les hommes qui traversent la Traaace
Ceux qui répondent 8 fois bonsoir
Celle qui coule saumâtre et puante, agitée par les courses folles des ragondins
Celui qui se cache derrière les persiennes, mais sait bien qu'on le voit
Ceux qui fument
Ceux qui boivent
Ceux qui disent Ay koké manmanw !
Ceux qui habitent au n°39 et dont je me demande
Quels gens sont-ils ?
IsabelKa, fév 2021
C'est celle dont le nom est écrit en gros et en orange sur le mur de sa maison. NADIA. KAY NADIA GATO. Je lisais toujours NADIA KA BAY GATO, en espérant qu'i ké ban mwen gato.
Rien à dire, elle n'avait pas fait d'études de pâtisserie mais ses gâteaux, SES GÂTEAUX, messieurs dames, étaient les meilleurs du monde. Je m'en lèche encore les babines.
Mais Nadia était, avant tout, une femme d'affaire. Donc, pa espéré i ké baw gato. I ké vann li baw. Donk, achté-y !
C'est ce couple qui, après tant d'années de mariage, prenait toujours le temps de s'asseoir en fin de journée, face à face, sur leur terrasse à discuter de tout et de rien, à refaire le monde.
Lui, Isidor, ce popilè, ce chat de gouttière, ce nèg gwo siwo.
Celui qui avait ravi le cœur, d'elle, Mazarine, cette mûlatresse.
Celle qui avait préféré quitter sa famille et l'opulence de leur vie sur les hauteurs de Didier pour venir s'installer, par amour, dans ce quartier de misère qu'est Texaco.
Jean-Claude Banys, fév 2021
J’ai rencontré ceux qui hument l’air du soir, un couple tranquille.
Celui qui s’appelle César, un peu chauve, qui a 55 ans et qui part travailler chaque matin à la SARA. Ses parents sont arrivés de Gros-Morne dans les années 60, attirés par la ville. Ils délaissaient la terre, trop dure à travailler, qui ne rapportait rien. Ils voulaient mieux pour leurs enfants.
César est né à Texaco, sa mère, Eugénie, dite Nini, était couturière. Elle avait un vrai talent. Toutes voulaient une robe cousue par Nini pour aller au bal chaque samedi et jouer à la matador. Elle a tellement bien réussi, la Nini, qu’elle a pu ouvrir une boutique appelée « aux 4 épingles ». César se souvient avec ravissement des tissus madras, des rires des femmes de 3 générations, des cris des petites filles piquées par les aiguilles lors des essayages.
J’ai rencontré celle qui est assise face à César. Est-elle sa femme, sa concubine, sa sœur ? Une grande complicité semble les réunir. Ils murmurent sur le pas de la porte pour que les voisins, si proches, ne se mêlent pas de leur conversation. Cette femme s’appelle Lauzéa, un surnom que le quartier Texaco lui a attribué rapport à sa peau couleur chocolat au lait et à sa maison qui exhale souvent le chocolat de communion qu’elle sait si bien fabriquer. Les enfants viennent souvent jouer devant sa porte, ils sont happés comme par magie par cette odeur. Et ils courent, jouent à chat, traversent les ponts ; leur terrain de jeu est circonscrit entre la maison de Lauzéa et la boutique de Kay Nadia Gato.
J’ai rencontré ceux qui se rassemblent autour des feux. De loin, une grande fumée signale le groupe. C'est la Maison des Jeunes de Texaco. On s’y ennuie un peu, on se regroupe chaque soir à la fraiche, plus longtemps les samedis.
Quels sont leurs rêves ?
Créer une famille, ici près de leurs parents, sachant que les terrains sont sur-occupés ?
Vendre du poisson sur ce petit marché, caché aux regards des Foyalais du centre-ville ?
Partir travailler loin, au-delà de l’Océan ?
Mais c’est si bon de croiser tous ces gens !
Ceux qui nous connaissent depuis toujours, sur qui on peut compter.
Ceux avec qui ont fait la fête dans les terrains vagues du bord de mer où des cabanes fabriquées de bric et de broc sont si accueillantes pour rêver ou conter fleurette.
Yasmine Deruelle
Fév. 2021
Il y a Georges cet homme, septuagénaire, l’homme que mon cœur aime toujours, mais c’est un amour interdit. Il loge dans cet appartement à proximité des douze cabanes de pêcheurs. Devant sa porte, un arbuste le Guérit-tout. Il fut jadis chauffeur de taxi péyi. Depuis quelques années il est retraité. Il y a chez lui une élégance naturelle, c’est un véritable gentleman. Parfois, le weekend il part en balade en mer sur l’un ou l’autre de ces canots, Miss Véro ou Edmond pour une partie de pêche avec ses trois amis.
Il me faut l’oublier, il n’est pas disponible.
Ce septuagénaire m’a avoué faire tailler ses vêtements chez cette jeune femme styliste modéliste, dans l’atelier «Aux Quatre Epingles».
Je le retrouve ce soir comme par hasard sur mon chemin, rue Georges Nardy au quartier Texaco. Le hasard n’existe pas dit-on !
Il est toujours aussi beau malgré son crâne dégarni.
Ce soir, il y a celui qu’il me faut oublier car il n’est pas disponible pour moi.
Il m’a souri et tendu quelques feuilles de Guérit tout,
m’a conseillé de faire du thé pour guérir
mon cœur blessé de ne pouvoir l‘aimer.
Pierrette Présent, sept 2020
Il y a celui qui vous accueille avec un sourire radieux. Un soleil qui vous donne l’envie de découvrir son quartier.
Curieux, il veut tout savoir de votre présence.
Bavard, il pose des questions mais avec une telle aménité que vous avez l’élan de lui répondre et qu’encore un peu vous l’inviteriez à être votre guide.
Il y a celle qui, étonnée par tant de visiteurs à cette heure, vous hèle et vous parle avec enthousiasme de son Texaco.
Elle y est née, elle y travaille.
Je sais où je vis ! dira-t’elle en défendant son quartier qu’on dit populaire et à qui, ceux qui ne le connaissent pas, prêtent tant d’insécurité.
Médisance ! criera-t’elle ! Invitant à revenir dans son atelier de couturière si bien dénommé : « aux quatres épingles » (à prononcer bien sûr avec le z).
Il y a ceux qui se cachent derrière un rideau dont on surprend un frémissement.
Il y a celui, sorti de nulle part, qui revient du bain, le port altier, avec une dignité quasi royale.
Il y a celui qui attend pour prendre la place et en profite pour s’esclaffer au téléphone, s’agacer des choses et d’autres, rire... tout cela en créole bien sûr, pour donner plus de piquant au personnage.
Et sous le kiosque, tout un monde d’hommes, jeunes et vieux, un peu consommateurs de tant de choses légales ou illicites qui les tiennent là, solidaires d’un bavardage vain que l’on pourrait nommer amitié.
Nicole Amazan, sept 2020
Il y a cette découverte première du quartier Texaco au crépuscule ce vendredi.
D'un côté, sur l'artère principale, on y voit une activité où certains se retrouvent pour boire, manger, discuter, jouer et ne pas s'esseuler.
D'un autre côté, deux rives traversées par une rivière où l'exutoire rassemble des activités de pêcheurs. En effet la mer n'est pas très loin.
Celui qui, jeune, perché à son balcon écoute une musique qui me paraît trop forte, pianote sur son téléphone, impassible.
Celui qui, plus âgé et paraît tranquille, assis sur son balcon, regarde le temps passer, les gens passer, il pense....
Ce qui me surprend reste tout de même le caractère de cet exutoire, de cette rivière dont les berges sont surplombées par des traverses horizontales.
C'est mon premier regard de Texaco.
Marie-France Servier, sept 2020
Il y a le gratteur de rouille qui se meut tel l'effet du courant dans la mangrove. C'est celui qui ondule, qui bulle, qui rêve d'une trêve. Il n'est pas seul.
Dans la pénombre, il attend.
Celui qui, perché sur ses échasses, nous observe. Il nous trouve étranges, mornes ou encore curieux. Là ! Sur son territoire. Des questions le taraudent, des pourquoi ? En ses terres, nous errons mais vers quel objectif ? Celui d'écrire ? Il ne sait pas, ses questions deviennent les miennes.
Mes yeux voyagent et se posent plus loin, sur...
Celui qui danse, qui chaloupe sur des musiques entraînantes, il n'ose demander une dame à danser. Il préfère imaginer leurs deux corps endiablés, tournés ou zoukés sur son air préféré.
Tout près, un amoncellement.
Celui qui accumule, qui ajoute, qui superpose, il utilise des bidons, des déchets, des trésors retrouvés. L'accumulateur. L'accumulateur est artiste. Il entrepose par juxtaposition. Tel un peintre, il réalise ses effets. Ce sont ses médiums, ses outils, sa palette. L'entrepôt devient galerie. On l'observe. De qui s'agit-il ?
Celui qui protège, il n'est pas fait de grilles, de barbelés ou de verre cassé. Il s'appelle King, nom d'un mâle. Là, tagué, sur un pan de mur jamais achevé. Toujours en mouvance, il danse. On le toise. Trop fier pour reconnaître sa puissance.
Qui ?
Celui qui pilote la cité, caché derrière les cabanes de pêcheurs. Il parle. De palabre en palabre, il narre. Il narre sa journée, sa vie passée mais il n'ose espérer pouvoir s'échapper car il aime son quartier.
Cynthia Combermale, sept 2020
Ceux qui, descendus des mornes et des campagnes
Ceux qui, rue des Pionniers, ont ramené avec eux la douceur du gato koko en relent KAY NADIA
Pas que, pas que…
Il y a aussi ce quelque chose du fondok :
- bonsoir
- merci de nous rendre visite
- vous faites une étude, on peut vous aider
- attention au canal
Et ce besoin viscéral de rassurer comme pour braver les on-dit, on-pense-que et dézinguer les a-priori.
- je suis fière de vivre ici, à Texaco
- j’habite, je travaille ici
Celle qui nous interpelle avec son large sourire, au détour de la rue Georges Nardy, toute en élégance sur le perron du « 4 Epingles ».
Ça sent la modernité ; marraine de la tradition revisitée, recalculée, adaptée.
Ne rien trahir du tan lontan, du pays profond en pays mêlé. Même juché sur son balcon, ce beau chabin décline ses riddims en tripotant son afro. Son insouciance invite au Pa Dig !
Tap, Tap ! Le domino frappé en écho à l’eau d’huile qui glisse doucement, doucement comme le temps à Bellevue du Marigot.
Félicia Nuissier, sept 2020
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