la traaace
avec Sophie, Delcina, Kinzy Marie-France, Véronique Lilie, Camille, Emmanuel
Yolande, Cécile, Christelle ...
extraits de livres lus pendant la trace
Raphael Confiant CONTES CRÉOLES DES AMÉRIQUES
Fabienne Kanor HUMUS
Maryse Condé MOI TITUBA
Xavier Orville L'HOMME AU 7 NOMS ET DES POUSSIÈRES
Edouard Glissant LE QUATRIÈME SIÈCLE
Je suis celle ou celui qui...
Je me souviens de Lucie... un nom de lumière sans fin, d'arbres centenaires chantés par la source. Naissance funeste, fantôme arabesque. Précipice vert sans pardon, mystérieux. Morne à monter. Vie fardeau.
Anba tè-a, djab-la aux mille voix. C'était trop pour elle. Tous les regards depuis trop longtemps... "Je ne peux plus. Je pars, coin de paradis, camarade la mort. Mon corps a mal au coeur. Woye !"
Je me souviens de nous. La pli bèl anba la bay !
Me voilà baptisé ! Le viol de la terre. Nous étions nus.
Je suis en vie. (Emotion. Larmes. Emotion.) Le souffle de vie m’habite encore. Résistance. Force. Dieux d’Afrique. Envie de biffer, de raturer. Je m’efforce de jouer mon rôle parfaitement. Honte. Nos chaines sont notre couleur. Corps pillé, peau blessure. Je souffre, je souffre. Mon corps souffre. Moi, la négresse. Ayo ou Séraphine ?
Alors j’ai pleuré la mémoire de nos ancêtres. Pas de case retour. Des voix qui ne s’éteindront pas. An tan longtemps. Demander pardon. L’origine de l’humanité. Ecrire notre propre destin. Demander pardon.
Au pied de l'arbre, je dépose l'injustice. Je dépose l'amnésie. Je dépose l'errance. J'oublie d'oublier mon nom. J'oublie la guerre parce que ça existe. J'oublie la domination. J'oublie la haine. J'oublie les arrangements. Je laisse là le désespoir. J'oublie le mensonge. Je ne veux plus me souvenir des mots qui font mal. Je dépose l'exil. J'oublie qu'hier sera un jour comme un autre.
Je dépose le non-vouloir.
A la fin de l'atelier, Isabelle K a chopé des fragments de textes
à la volée et les mis bout-à-bout tout au long du chemin.
Nos phrases écrites en solo sont devenues un texte collectif : Texte de l'atelier
Il s'agit d'une déambulation dans l’histoire des noms. Ecrire le nôtre, celui des autres, ceux glanés sur les boites aux lettres, tombés de la bouche de nos guides, des extraits de livres lus. Ecrire surtout le nom des esclaves. On entrera dans des histoires de propriété, d’appropriation et de désappropriation en s'attardant sur ces moments de l'Histoire où l'homme perdit son nom en entrant dans le monde des choses-meubles. Cet atelier explorera cette blessure du nom à travers nos propres représentations.
Isabelle Kanor
animatrices les soeurs Kanor
conceptrice Isabelle Kanor, Le labo des Lettres
« Tout ça de monde ! » C’est ce que s’écrie Jeanne (la tante) en nous voyant descendre la pente qui mène à la grand case, lieu du rendez-vous et point de départ de l’aventure, où l’on demande qui est qui, où l’on boit la tisane de démarrage. Casimir (le tonton) nous ausculte depuis son balcon. D’habitude, c’est mort, le matin, au Morne Gommier. En dehors de Pouchine (le chat roux et blanc), de Chouchine (l’autre chat roux et blanc), il n’y a pas un chat. Les habitants prient en église, même le vent n’est pas encore levé.
Ca commence. Jeanne notre hôtesse se présente, elle, est la fille de maman Ness et de papa Jérôme, elle, a vécu ici-dans jusqu’à l’âge de sept ans. Cette première histoire dans la tête, on avance, on avance, on contemple un arbre, une maison, des maisons, Fernand qui nous montre sa trace, un pan de zion qui débouche sur une source et un trou noir : l’histoire de Lucie.
Je me souviens, tu te souviens, on se souvient tous de Lucie rebaptisée par Cécile, Lucy, mère des femmes, femme des femmes, première dame de l’humanité. Jude (le guide-du-quartier) nous rappelle qu’il y a eu aussi, au temps d’antan, un combat sanglant de chiens. Jude ne se rappelle que les cris, les chiens, eux aussi, ont sauté dans le vide. Entre temps, entre les histoires, on apprendra que l’ananas le vrai fleurira dans trois mois, que telle et telle plante soigne tel et tel mal, qu’il faut imiter le pas de la mule pour gravir une côte, qu’il nous invite à revenir manger des mangos lorsque ce sera la saison.
C’est la saison des cocos plus tard chez missyé Moril qui dégaine son coutelas pour nous offrir le nannan du fruit. Moril revient de l’église. Il nous garde sur sa terrasse un tak de temps, juste ce qu’il faut à chacun d'entre nous pour se glisser dans la peau d’un esclave et raconter sa vie d’avant. Silence. L’imaginaire tourne. L’eau d’coco s’avale. Le corps se lève pour prendre une nouvelle trace, grimpe puis descend au cœur du jardin des Ancêtres, là où déposer ses émotions, offrir sa parole du dedans est affaire privée et collective. Nous voilà rassemblé(e)s autour des souvenirs et des vœux. Nous voilà animés du même désir de dire et de tuer le jamais-dit. Silence – la parole tourne, l’histoire donne ses nœuds. Le corps se reprend et trace au tout début de la trace. Comme on dit ! Delcina. Re-bonjour tonton Casimir ! « Tout ça de temps », conclue Tatie Jeanne qui après avoir dressé la table nous annonce que Nicole (la cousine) et Thierry (le cousin) vont passer nous voir.
Conte, rendu by Fabienne Kanor