la traaace
Comment parvenir, avec l'écriture à convoquer ses peurs, ses monstres et ses cauchemars, sans pour autant les réveiller ? Autrement dit comment prendre du recul ? Cet atelier ouvre des pistes d'écriture à travers lesquelles la forêt et le groupe sont employés pour garder le réellement terrifiant à bonne distance et, pourquoi pas, le semer. Isabelle Kanor
Si tu étais un cri d'horreur...
Le cri retenu, le silence stupéfait, le hurlement, le «Pas moiiiiiiii !!!», le «Noooooon pitiééééé !», le cri de celui qui fait peur… Hermence, elle aurait insolitement poussé le cri de Tarzan. Pourquoi pas ? Son Aiaiaaaaaiaiaaaahhh a dû glacer le sang d’un certain nombre d’animaux dit sauvages.
Et c’est ainsi, hurlant, que nous sommes montés par le sentier rouge qui mène à la forêt.
Nous avons invoqué nos monstres. Nous les avons encyclopédiés pour que n’importe qui sur la planète puisse les reconnaître. Un homme averti... Dans notre wikimonstria, on ne trouve pas de soucougnans ou des bêtes informes poilues et crochues. Nos monstres sont plus ordinaires, plus quotidiens et, de fait, plus malfaisants. Un patron, un collègue, une molécule de chroldéconne ou bien la profitation, c’est pire que la Bête-aux-40-yeux dans le Thriller de Jackson !
Mais il n’y a pas que les monstres qui terrifient. Quand la nuit tombe, des cauchemars surgissent. Dans cette forêt bien balisée, mais humide et étroite, les branches gluantes et les feuilles gorgées de pleurs étaient devenues des attrape-cauchemars. Impossible de continuer la route sans en décrocher 4 ou 5. Christophe Colomb découvrant l’Amérique / Etre bloqué dans un téléviseur / Glisser sur le beurre d’un croissant de lune / Vouloir avancer et ne plus pouvoir bouger / Se disloquer / Voter Trump… Qui n’a jamais fait ce genre de rêves terrifiques ? Chacun a décrit le plus du plus du plus terrifiant pour lui. Sous un carbet, le carbet rouge, nous nous les sommes partagés. Impression singulière d’avoir marché dans la tête de chacun, d’avoir arpenté les territoires intimes de la nuit.
Ecrire exorce-t-il les peurs, les cris rentrés, les monstres irrésolus ? Je ne sais pas. Mais c’est certainement pour cela que, parfois, nous éprouvons l’impérieux besoin de descendre en nous-mêmes avec un stylobic en guise de torche.
Conte, rendu by manzelKa
extraits des œuvres lues pendant la trace
Aimé Césaire, DEMONS + MONSTRES. In : Cadastre (Points, 1961)
Thérèse Georgel, CONTES ET LEGENDES DES ANTILLES (Nathan 1957)
Malik Duranty, POEZI MOFWAZ (2014)
Marie-Alice Théard, CAUCHEMAR. In : Anthologie de la poésie contemporaine haïtienne (Gallimard 2015)
Simone Schwarz-Bart, PLUIE ET VENT SUR TÉLUMÉE MIRACLE (Points 1972)
Et le poème découvert sur le site (dans le musée)
Gilbert Gratiant, J’AI PEUR
animatrices
Isabelle Kanor
Véronique Kanor
conceptrice
Isabelle Kanor
Le Labo des Lettres
Beauté diabolique, Yéééé Krik !
Sé Djab-la dévoré yo. Dodo ti pitit manman… Sorcière noire de Salem, Krazé sà ! Serpent hideux, mwen diw non ! Mwen lakay mwen. Gloc Gloc Gloc, sa ou lé ? Perdu ?
Invisible absence, Djab pa Djab.
J’aurai ta peau Cerdourberleur, à l’affut de nos faiblesses.
J’aurai ta peau, Fiblategenance en milieu urbain qui transforme les humains en bêtes de somme.
J’aurai ta peau, Ledamublanramèche, fantomatique qui se nourrit de la peur des enfants.
J’aurai ta peau, Mangoustonyouté, être habité par la culpabilité, femme orgueilleuse.
J’aurai ta peau, Oirfourantrémigné, monstre vorace, pervers solitaire et incontrôlable.
J’aurai ta peau Segwotile, écailles et plus de 40 mètres de long à la naissance.
J’aurai ta peau Sancupiprofitassu, qui se nourrit des plus démunis.
J’aurai ta peau, isalop ! Zagriline qui cherche les humains, prend leurs cheveux.
Rires diaboliques ; dire son chapelet le soir ; aucune possibilité de l’anéantir.
C’était le carnaval, un cauchemar qui me hante. Les gens s’agglutinaient autour de moi. J’étais nue. Ay chèché ! Je glisse, quelque chose m’empêche de me lever, matin étrange sans clarté. Angoisse lugubre. Le jour a disparu, je marche sur un fil ramolli au milieu du néant ramolli par le beurre. Je glisse en arrière, je mords dans le croissant de lune. Trop de beurre, c’est le désespoir. Je suis sans vie, le temps est crucial. Pé pa brennen. Effroi de ce côté gauche face à un animal sauvage.
I blotjé, i rédi, Djables contwolé. Mwen tann di Zonbi paré anko. Tout à l’intérieur de moi se transforme. Enfermée, hébétée, tentative désespérée, je panique enfermée dans ce téléviseur. Une voix me dit de retrouver mon chemin. C’est une question de mort, je ne vois rien dans cette forêt de malheur. Point de chemin. Ki chimen ou ka chèché ? Lui, ce cauchemar, cette rigidité me pétrifie d’horreur. Je devine la solitude. C’est le trou noir.
Quelque chose me réveille. Là, j’aspire l’air à grandes goulées, j’attends la délivrance, la compréhension. Ma peur a le bruit d’un océan qui engloutit les cadavres. Je ne sais pas, c’est le mouvement de la vie. Liane après liane, retentit le silence qui remue les souvenirs. Zéro perte. Ma voix s’est tue en même temps, mes oreilles sifflent. Oui, inattendue jusqu’à les embobiner, jusqu’à une vision fausse. Je vis.
Nul ne sait où les cauchemars vont se réfugier. Là où le soleil frôle l’horizon ? J’entends le brouhaha et plus rien, le noir broie le bruit de tout ce qui fut nous. Voix qui passent ailleurs, pleurs de la petite fille aveugle à mes cris avortés. Mes jambes flageolantes avancent péniblement. Soudain je les entends, les merles babillent autour de moi. Je m’entends de l’intérieur. S’aimer soi-même est la solution. Alors dormir, ultime tentative pour régénérer son âme.
Emergence de soi.
La peur se taira et je serai sauvée.
LE TEXTE DE L'ATELIER
Saisi sur le vif par Isabelle pendant que les écrivants lisaient leurs textes, le texte de l'atelier est composé uniquement de bribes des phrases glanées dans les lectures des participants.