Le temps, c'est comme...
Le passé c'est une imprimante 3D, ça dépose, ça sédimente, ça accumule, ça stratifie. Reposent en paix les squelettes des amours anciennes, les enfants morts nés, les futurs avortés. Et je marche sur le morne, la pluie tombe sur mes épaules d'homme et chacun de mes pas imprime sa trace dans la boue du chemin, dans la boue du présent qui fuit. Je marche sur le passé sédimenté, je marche sur les anciens cantiques, sur les harmonies oubliées. Je marche sur les souffrances des hommes, sur leurs champs de bataille, sur leurs espoirs déçus. J'écoute le vent humide, le vent du morne. Il m'amène, magie du présent, quelques notes ténues, quelques effluves de temps révolus. Archéologie des sensations, le passé dans le présent, toujours. Le présent, bouteille de rhum schizophrène, forgé dans les fûts du passé. Rhum ! Souviens-toi des bois gorgés des arômes des grands Armagnac du terroir de France dans lesquels tu as été élevé. Souviens-toi de la force du grand chêne profondément enraciné dans un terreau fertile qui t'a enserré comme on enserre un peuple opprimé. Souviens-toi que tu es ici, fils du passé. Douce schizophrénie que cette balance enivrante. La canne nouvelle plonge dans les parfums du passé et cette alchimie est bonne à boire en toute occasion. Juste un zeste de citron vert. Juste d'autres hommes, d'autres femmes pour partager. Alors, danse avec les hommes, danse avec les morts, danse sur le passé qui s'en frotte les mains.
Le futur est un pas de bèlé, ancré dans la terre d'ici, il passe de mains en mains, de bouche en bouche, il porte la mémoire des hommes et des âmes. C'est un rire ancien, c'est un geste de la main qui nous dit « Viens ».
photo R. Clair