L’assassinat du goyavier (2017)
Où es-tu, Ti-Émile ?
Est-ce que tu chantes, danses, frappes encore le bèlè là-haut, au creux des nuages, entre l’avion qui sans pitié déchire le ciel et l’oiseau noir qui, sur le fil, enchante le jour ?
Dis-moi, Ti-Émile, si tu as vu, de ta céleste demeure, le meurtrier de l’arbre aujourd’hui mort, et dont ne pleuvent plus les suaves goyaves ?
Dis-moi s’il a pris l’allée du Sans-Souci,
S’il s’est caché dans la canne au détour du chemin de la Bienfaisance,
Si un court instant il s’est arrêté à la porte blanche, sur la ruelle obstinément fermée, croyant trouver là un éphémère asile ?
Dis-moi, Ti-Émile, s’il a tremblé aux abois du chien, soudain levés par son pas sur le froid ciment brut,
Si la femme douce, en embuscade derrière le moucharabieh bleu de pierre, a reconnu son dur visage sillonné d’angoisse.
Ti-Émile, dis-moi s’il a fait peur à l’enfant assis sur la marche rêveuse de la maison maternelle,
S’il a un peu tremblé de nostalgie au parfum de la lessive qui séchait là-haut sur la terrasse repue de soleil,
Dis-moi enfin, Ti-Émile, pourquoi ce mauvais sort par lui jeté sur l’arbre ?
Mais ne ne me dis pas, non, Ti-Émile ne me dis pas qu’il était sorcier attaché à la perte des hommes !
LE MONOLOGUE DU MORT À LA MORT
Toi, Madame la Mort,
Tu m’attendais au bout du chemin, dans la blancheur carrelée du calme cimetière qui regarde la mer. C’est là que tu m’as dit : « Ninotte, arrête un peu ici tes pas, conte-moi ta vie, que je pèse à ma balance tout ton Bien et tout ton Mal ! ».
Et moi, l’humble Ninotte, je t’ai répondu le dur travail de la canne, le chemin quotidien au long des hauts murs gris, au long des hautes grilles qui protègent d’inaccessibles richesses, leurs trésors bien gardés de rhums et d’alpinias !
Je t’ai dit le cours de ma vie, le lent cheminement des eaux de terre s’en allant rejoindre les vagues salées de la mer.
Et tu m’as prise par la main, pour qu’ensemble nous traversions sur le petit pont la rivière, que nous traversions une fois dernière le boulevard qui offense mon âme. Je t’ai montré les papillons têtus comme les yeux jaunes des anciens esclaves, les volubilis mauves qui s’accrochent en dentelles aux herbes des savanes, la banderole blanche qui à la grille célèbre le couple de jeunes mariés en partance vers un possible bonheur.
Je t’ai dit d’écouter le vent qui bruisse sa chanson de sueur et de sucre dans les champs de canne drue. Et tout cela, c’était la vie ! Tout cela, que tu m’as ravi, c’était ma vie à moi, la Ninotte, celle qui tendait la main aux compères buveurs de ti-punch, qui ouvrait le chemin aux enfants, faisait éclore par temps de grand soleil les ombrelles sur la tête des femmes, puis traversait sagement dans les clous !
Mais sur ma tombe, oh, Madame la Mort, il ne sera pas permis que tu triomphes, car dans un carré de terre, le goyavier ressuscité, narguant la raide artificialité des bouquets de cimetière, pousse ses bras vers le ciel et me donne à jamais son ombre !