La jarre
Le chemin est sinueux. Il avait plu la veille et l'eau l'avait creusé à l'os, rejetant sa chair sur les côtés en tas jaunes et mous. Nous marchons sur les os pointus du chemin. Des cris étouffés s'entendent quand le pied trébuche.
Et le vent se lève, bouscule nos corps, les feuilles, les longues herbes.
Et les épines rigolent en touchant nos mollets.
Le soleil dit son dernier mot. Après, ce sera aux hommes de dire le chemin. Et nous, les enfants, nous les suivrons sans oser dire J'ai peur. C'est encore loin ?
Il parait qu'une jarre est enterrée là, par là. Ce sont des capitaines de bateaux négriers qui l'auraient mise là, par là. Ils pensaient revenir, mais la vie... Vous savez comment elle est la vie. Elle vous raconte des histoires, vous fait des promesses, jure, crache, sur la tête de sa mère. Et nous, nous lui donnons le Bondieu sans conditions. Cette vie leur avait fait croire qu'ils reviendraient sur cette île.
Tonton Clotaire a rêvé cette jarre. Dans son rêve, elle était là, par là. Manman Nès dit qu'il faut faire confiance aux rêves plus qu'à la vie. Ils ne mentent pas, les rêves. Ils ne vous foutent pas dans une vie salope avec des cales sous vos pieds et, au dessus de vos têtes, un soleil-façon qui vous ôte toute envie de vous battre. Elle dit que les rêves viennent la nuit. C'est pour cela qu'il faut aller les cueillir pendant la nuit.
A la tombée du jour, nous sommes partis, les hommes devant, les enfants derrière, à la rencontre du rêve d'or de Tonton Clotaire.