Je suis Romain, l'esclave Romain (2)
Mais laissez-moi m'en aller. Je suis fatigué d'être déjà revenu et de sentir que les mauvaises herbes veulent toujours repousser. Elles repoussent toujours dans les caniveaux du passé. L'eau ne circule plus dans ces caniveaux de mon St-Pierre, un manteau recouvre maintenant le pavé des rues. Je reste là, fantôme d'un passé recomposé. Peaux blanches, peaux nègres, peaux métissées sur le pavé... Chacune marche à son pas, son pas de liberté. Démarche fière ici, pani chènn, pani boulè. Semble t-il, tout a changé. J'ai croisé tantôt l’œil bleu du béké, il a baissé la tête devant mon évidence révélée. On m’a dit qu'il vit de beaux jours, dans ses entrepôts retranchés. Moi Romain, ancien esclave affranchi et libéré, tanbouyé sur la commune du Prêcheur, habitation Duchamp, je dis que tout a changé. Moins de sang, moins de souffrance, moins de chaînes de fer et de sang. Et pourtant, je pressens… Où sont vos nouvelles chaînes, petits hommes qui vivez ici et maintenant. L'eau a coulé depuis, elle a charrié le sang de la colère et de la révolte. //// René
L’eau a coulé depuis. Elle a charrié le sang de la colère et de la révolte.
Moi, Romain me voici de retour. 170 ans plus tard, la vie me donne l’occasion de revisiter ces lieux où je fus esclave et aboli. Je regarde sans comprendre, je vois sans discerner, je suppose et je suppute que nos combats d’antan a fait grandir ce que l’on nommait liberté. Liberté de rire, liberté de partager, liberté de dire, liberté de partir, liberté de faire, liberté de posséder, de cultiver, d’éduquer, de fonder un cœur, une famille, une nouvelle société parcelle d’autres sociétés.
Oui, l’air semble libre de circuler dans ce St-Pierre que je relis et relie. Mais… L’air me semble aussi se coincer dans des interstices que je ne peux identifier.
Il me faudrait vivre ici quelques années pour comprendre à quel rythme le tambour bat la musique de la liberté dans ce vingt et unième siècle à peine né.
Et je suis fatigué.
Laissez moi m’en aller, avec les miens. On a déjà donné pour que vous puissiez aujourd’hui la préserver, la cultiver, la faire grandir en vous et, au-delà, de vous cette liberté sans jamais l’amenuiser.
Laissez-moi m’en aller, je suis déjà fatigué d’être revenu constater que les mauvaises herbes veulent toujours repousser. //// Fabienne C.