Jeannot dit Malfini (2017)
Un crime a eu lieu dans le quartier Union de Sainte Marie, Martinique, en 1971…
Esprit, es-tu là ? Oui.
Pour l’instant, je suis calme… Il n’y a pas de souci, rien que d’la fraternité et de l’amitié… dans ce petit quartier de l’Union, à Sainte Marie.
Là, des enfants jouent…
Et pourtant…
Il y a 45 ans, à un mois près, quelqu’un est mort de mort violente, ici même, quelques semaines avant la fièvre du Carnaval.
Jeannot, qu’on surnommait Malfini, était épris de deux femmes : la mère et la fille.
La petite s’appelait Victoire. Elle avait 25 ans. Sa mère, Marie-Guylaine, poto mitan du bèlè samaritain, faisait tourner la tête des gars de Sainte-Marie depuis deux générations.
Jeannot eût une histoire de cul, puis de cœur, avec cette matador aux reins marrés ; idylle qui prît fin brutalement au bout de neuf mois car Jeannot avait vu entre-temps l’esprit de l’œil luisant de Victoire, le jour même où il avait rencontré sa mère. Et il eût la naïveté de vouloir séduire les deux femmes en même temps. Trois semaines suffirent à la femme mature pour prendre l’odeur de la trahison. Mais Jeannot ne savait pas qu’elle savait. Il programmait ses rendez-vous galants avec la jeune femme sur la plage du Gaoulé, tôt le matin, et réservait son autre morceau de cœur à sa mère le soir, derrière le pitt Casérus, an ba fèy…
Seulement voilà : Marie-Guylaine connaissait toute Sainte Marie, depuis le Robert jusqu’au Lorrain… Elle laissa faire quelque temps par fierté, par orgueil, aussi. Puis elle contacta finalement son oncle du Morne des Esses pour stopper définitivement cette trahison.
Le quimboiseur du Morne des Esprits força un peu sur la dose…
Neuf mois jour pour jour après sa rencontre avec les deux plus belles femmes de Sainte Marie, on retrouva Jeannot bien droit, un dimanche matin à 6 heures, pendu au faîte de la charpente du pitt Casérus.
(L'enquête sur le crime à l'Union abouti à l'arrestation de Mami Wata, alias Manman Dlo. Emmanuel, superflic, interroge la suspecte interprétée par Janine.)
On m’a dit que je trouverais là, devant les deux mamelons rocheux, la fin de mon enquête. D’aucuns disent que le tonton du Morne-des-Esses aimait à se promener ici…
1. Comment expliquez-vous ce galet rouge retrouvé dans la poche gauche de Jeannot, encore pendu dans le pitt ?
L'accusée :
Mais mon petit bonhomme, je ne suis pas devin, je ne suis pas magicienne; et mes pouvoirs, hélas ! ne me permettent guère de percer le mystère des poches des hommes ! Et, de cailloux, je ne connais que les galets roulés par les vagues vertes des océans !
2. Victoire était une excellente nageuse… Comment expliquez-vous qu’elle ne soit jamais venue nager à la plage du Tombolo ?
L'accusée :
Victoire me craignait, car je suis celle qui entre dans l’âme des Humains pour en extraire les secrets. Et tous, victimes ou bourreaux, enferment en eux quelque indicible secret !
3. Etes-vous bien sûre que Jeannot a été pendu... puisqu’on a retrouvé cette lettre d’adieu écrite de sa main, tâchée de son sang ?
L'accusée :
Je ne connais point de Jeannot. Surtout pas de Jeannot Malfini ! Car, si un tel personnage de moi s’approchait, je devrais lui rendre ce qu’une vie injuste ne lui a pas donné !
LE MONOLOGUE DU MORT À LA MORT
Moi, Jeannot dit Malfini, je repose en paix au cimetière de Sainte Marie.
J’aimerais bien… Heureusement, d’ici , j’entends les vagues…
Ils m’ont mis au frais… et au vent.
Mais à part ça, l’emplacement n’est pas terrible.
Et puis, tu sais, la façon que tu m’as mis là, dans ce pitt, ce piège que tu m’as tendu pour que je me pende… J’ai pas aimé.
Contrairement à Marie-Guylaine.
Tu aurais pu me donner quelques années de répit.
J’aurais eu un ou deux enfants avec Victoire, j’aurais pu construire quelque chose…
Au lieu de ça, tu m’as pris à 44 ans, « le bel âge » comme ils disent. Et la famille a eu tellement honte qu’ils m’ont construit un échantillon de tombe tout près de celle de la famille SEGUINET… Toi-même, tu sais…
Et puis ces roses bleues, franchement…
Dis-leur de faire un effort…
Dis-leur de venir me voir plus souvent...
Depuis le temps, Victoire aurait pu revenir…
Ah ! Il paraît que Marie-Guylaine ne va pas fort, ces derniers temps...
Diabète et chlordécone, qu’ils disent…
Envoie-la moi vite…
Je m’ennuie tellement, ici…